« Vivre avec le VIH ne veut pas dire avoir le sida », insiste Madeleine Durand, chercheuse clinicienne au CHUM. « Le VIH est un virus qui infecte les gens. Une fois diagnostiqué, un traitement peut être instauré pour rendre la charge virale indétectable. Et lorsqu’aucun autre virus n’est détecté dans le sang de la personne, il n’est pas contagieux, il ne transmet pas l’infection. » En revanche, « si la personne infectée n’est pas traitée, le VIH va tranquillement ronger, pendant sept à dix ans, son système immunitaire jusqu’à ce qu’il soit tellement affaibli qu’il ne puisse plus se défendre. “Ils n’affectent pas les personnes en bonne santé. Avant l’avènement des traitements, les gens développaient les infections opportunistes qui caractérisent le sida, et la mort survenait en moyenne dans les six mois. C’était dévastateur jusqu’au début des années 1990”, se souvient l’interne. Le Dr Durand insiste sur cette distinction importante car la stigmatisation des personnes infectées par le VIH est encore très répandue et porte atteinte à la vie et à la santé de ces personnes. De nombreuses personnes vivant avec le VIH lui disent : « Mon virus, il n’y a rien là-bas. Mais ce que les autres pensent de mon virus est ce qui me fait souffrir. » Au Canada, les infections à VIH augmentent chez les membres et les femmes des Premières Nations, qui sont confrontés à une stigmatisation plus intense que les hommes, souligne-t-elle. Bien que la trithérapie ait radicalement amélioré les perspectives de vie des personnes infectées par le VIH, nombre d’entre elles connaîtront un vieillissement prématuré, en particulier celles qui ont commencé un traitement longtemps après l’infection. “Les personnes qui ont été dépistées tôt et qui ont commencé un traitement tout de suite s’en sortent très bien, elles ne montrent pas de signes de vieillissement prématuré car le virus n’a pas eu le temps d’affaiblir vraiment leur système immunitaire”, explique-t-il. Dr. Durand dirige la Canadian HIV and Aging Cohort, qui comprend 850 personnes âgées de 40 ans et plus vivant avec le VIH et 250 personnes non infectées pour comparer leur vieillissement et mettre en évidence les facteurs qui accélèrent le vieillissement chez les personnes infectées par le VIH . L’une des hypothèses avancées pour expliquer ce vieillissement prématuré est la “stimulation antigénique chronique”. Même si le VIH est indétectable dans le sang des personnes sous traitement, on sait qu’il y a encore des virus qui se cachent dans leurs organes. On pense que les protéines virales de ces virus pénètrent dans la circulation sanguine et provoquent une activation continue et silencieuse du système immunitaire, ce qui entraîne une inflammation prolongée, qui use le corps et pourrait accélérer le vieillissement cardiovasculaire et neurologique. Andrés Finzi, expert en rétrovirus au Centre de recherche du CHUM (CR), est engagé dans la mesure des fragments de protéines virales dans le sang des patients du Dr. Durand. Les tests sont ensuite corrélés avec des images des artères coronaires de ces mêmes patients pour déterminer si les personnes ayant plus de fragments viraux dans le sang présentent des signes précoces d’athérosclérose. La présence de particules bactériennes du microbiote intestinal dans le sang pourrait également contribuer à une inflammation continue qui peut endommager le corps. « Au cours des premières semaines d’une infection par le VIH, les globules blancs positionnés le long de la barrière intestinale pour empêcher la propagation des bactéries intestinales dans la circulation sanguine sont décimés. Et même après des années de médicaments antirétroviraux, ce groupe de globules blancs n’arrive pas à se reconstituer comme il l’était avant l’infection », explique-t-il. Nicolas Chomont, virologue au CR du CHUM, s’intéresse à ces réservoirs de virus que la trithérapie n’arrive pas à éliminer et qui persistent dans l’organisme. “Grâce à la générosité de personnes vivant avec le VIH de longue date qui avaient accepté de donner leur corps à la recherche après leur mort”, le chercheur a pu réaliser “une cartographie quasi complète des réservoirs”. Ainsi, après autopsie de ces personnes, il a pu récupérer tous leurs organes, du cerveau à la rate, en passant par le foie, les ganglions lymphatiques, les testicules, et plusieurs parties de l’intestin. “Ce qu’on a vu avec les deux premiers patients n’est pas une très bonne nouvelle, car on a retrouvé le virus partout à des concentrations plus ou moins élevées : on en a vu un peu moins dans le cerveau et les testicules par rapport aux organes du système immunitaire, comme la rate et les ganglions lymphatiques et l’intestin où il y en avait beaucoup plus », dit-il. « Mais la bonne nouvelle est que les cellules infectées de ces tissus qui abritent le virus ne se cachent pas seulement dans leur organe, elles ont tendance à se déplacer dans le corps. Et s’ils voyagent, cela signifie qu’ils ont une certaine vulnérabilité, car ils sont alors exposés aux défenses immunitaires de l’organisme », poursuit-il. Mais chez la majorité des personnes sous trithérapie, le système immunitaire est incapable de cibler ces cellules et de les éliminer car « il est affaibli et parce qu’il n’a pas affronté le VIH depuis longtemps – à cause de la trithérapie – et qu’il n’est plus sait à quoi il ressemble. Il a donc besoin d’être recyclé et renforcé. Autre défi à relever : les virus cachés dans ces tissus sont souvent en sommeil. on dit qu’ils sont latents. Et puisque les cellules contenant des virus latents ressemblent à d’autres cellules non infectées, le système immunitaire ne peut pas les voir et donc ne peut pas les éliminer. L’immunothérapie du cancer est une stratégie actuellement testée par l’équipe de M. Chomont, car elle présente le double avantage de réveiller les virus et de booster la réponse du système immunitaire. Andrés Finzi tente également de développer une stratégie pour détruire les cellules infectées qui se sont réfugiées dans les réservoirs. Pour empêcher le système immunitaire de reconnaître les cellules qu’il a infectées, le VIH les recouvre d’une sorte de “cape d’invisibilité à la Harry Potter”, explique-t-il. Le Dr Finzi a donc conçu un outil moléculaire qui ouvre cette cape et permet ainsi aux anticorps de reconnaître la cellule infectée et de la neutraliser pour qu’elle soit finalement tuée. « Aux patients qui nous demandent où nous en sommes dans le développement d’un remède contre le VIH, nous ne pouvons rien leur dire d’autre que : nous progressons. Et c’est vrai qu’on avance. Alors qu’il y a 13 ans, personne ne croyait qu’on pouvait éradiquer le VIH, il y a aujourd’hui une dizaine de personnes dans le monde qui sont considérées comme n’ayant pas d’autre virus dans leur corps, alors qu’elles l’ont depuis des années. Ça prouve que ça existe ! dit M. Chomont, qui espère traquer l’un de ces “excellents contrôleurs d’élite” au Québec qui ont réussi à se débarrasser naturellement de tous les virus qui les infectaient et n’ont plus besoin de traitement. Selon l’ONUSIDA, 38,4 millions de personnes vivaient avec le VIH dans le monde en 2021, mais seulement 28,7 millions avaient accès à la trithérapie. Des preuves qui motivent les scientifiques à poursuivre leurs recherches.